Gaza / Israël : la Chambre des appels de la Cour pénale internationale (CPI) maintient les mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens

Nicolas Boeglin, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin(a)gmail.com

Le 24 avril 2025, la Chambre des appels de la Cour pénale internationale (CPI) a rendu deux décisions : dans la première, elle a refusé de suspendre les mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens (l’actuel Premier ministre et l’ancien ministre de la Défense) ; dans une autre décision, elle a maintenu les deux mandats d’arrêt et a accepté une partie de l’appel interjeté par Israël contre cette même décision de la Chambre préliminaire concernant la compétence de la CPI.

C’est la réponse de la Chambre d’appel à la série d’arguments de toutes sortes présentés par Israël pour tenter d’échapper aux deux mandats d’arrêt, confirmés par une décision d’une Chambre préliminaire en novembre 2024, à la suite de la demande formulée par le Procureur de la CPI en mai de la même année.

Les deux décisions susmentionnées seront bientôt disponibles

Le texte complet des deux décisions permet de connaître en détail les recours de toute nature présentés par Israël, ainsi que le soin extrême apporté tant par le Procureur que par la Chambre préliminaire lors de l’élaboration de leurs décisions de 2024.

Le texte de la première décision de la Chambre d’appel du 24 abdil 2025, qui compte 15 pages, est disponible via ce lien. On peut y lire (page 3) que :

After deliberation, Renders, by majority, Judge Luz del Carmen Ibáñez Carranza and Judge Solomy Balungi Bossa dissenting, the following 

D E C I S I O N 

  • The appeal of the State of Israel is dismissed as inadmissible; 
  • The request of the State of Israel for suspensive effect of arrest warrants issued by Pre-Trial Chamber I against two Israeli nationals and “any other legal acts taken by the Court based thereon” is dismissed, as moot; and 
  • The request of the State of Israel for leave to reply and to reject in limine the Prosecutor’s submissions concerning suspensive effect is dismissed as moot« .

Le texte complet de la deuxième décision, qui compte 23 pages, peut être consulté sur ce lien officiel de la CPI. Il convient de souligner que cette décision a été prise à l’unanimité des cinq membres de la Chambre d’appel, qui ont indiqué (page 3) que :

After deliberation, Unanimously, Delivers the following J U D G M E N T 
  • The State of Israel’s appeal against Pre-Trial Chamber I’s “Decision on Israel’s challenge to the jurisdiction of the Court pursuant to article 19(2) of the Rome Statute” is admissible under article 82(1)(a) of the Statute; 
  • The State of Israel’s request for leave to reply is rejected; 
  • Pre-Trial Chamber I’s “Decision on Israel’s challenge to the jurisdiction of the Court pursuant to article 19(2) of the Rome Statute” is reversed and remanded for Pre-Trial Chamber I to rule on the substance of the State of Israel’s jurisdictional challenge; 
  • The State of Israel’s request for suspensive effect of two arrest warrants issued by Pre-Trial Chamber I and “any other purported exercise of jurisdiction by the Court” is dismissed as moot; and 
  • The requests of the Office of the Public Counsel for Victims and the European Centre for Law and Justice are dismissed as moot« .
Gaza / Israel

Photo extraite de l’article de presse publié en Israël, intitulé « Bombing plants, severing pipelines : Israel pushes Gaza water crisis to the brink » (Magazine+972, édition du 23 avril 2025, dont la lecture complète est recommandée).

Dans ces deux décisions, le rejet de la demande d’Israël de suspendre les mandats d’arrêt contre deux de ses dirigeants est catégorique. De ce simple point de vue, on peut dire que les démarches d’Israël ont échoué.

En ce qui concerne la deuxième décision de la Chambre d’appel de la CPI, cela ouvre-t-il réellement la possibilité d’une révision future de la décision antérieure qui avait confirmé les mandats d’arrêt délivrés contre deux dirigeants israéliens et trois chefs du Hamas en novembre 2024 ? (décision dont nous avions eu l’occasion d’analyser la portée à l’époque – Note 1).

La réponse à cette question, selon nous, est que cette possibilité n’existe pas réellement, car les juges ne pourraient pas aller à l’encontre de ce qui a déjà été établi et clairement tranché en février 2021 par trois juges de la CPI. Dans sa décision du 24 avril 2025, la Chambre d’appel a accepté qu’un argument d’Israël fondé sur l’article 19, paragraphe 2 (possibilité d’introduire un recours) combiné avec l’article 82, paragraphe 1, était recevable et que la Chambre préliminaire avait commis une erreur de procédure en l’écartant. Ce dernier article (voir texte du Statut de Rome adopté en 1998) est libellé comme suit :

Article 82

Appel d’autres décisions

Chacune des parties peut faire appel, conformément aux règles de procédure et de preuve, des décisions suivantes:
  • Une décision relative à la compétence ou à la recevabilité;
  • Une décision autorisant ou refusant la liberté de la personne faisant l’objet d’une enquête ou d’une poursuite;
  • Une décision de la Chambre préliminaire d’agir d’office conformément au paragraphe 3 de l’article 56;
  • « Une décision relative à une question qui affecte de manière significative la justice et la rapidité avec laquelle la procédure est menée ou son résultat et à l’égard de laquelle, de l’avis de la Chambre préliminaire ou de la Chambre de première instance, une décision immédiate de la Chambre d’appel peut accélérer sensiblement la procédure ».

Comme on le sait, Israël a dès le début contesté la compétence de la CPI, estimant que la justice pénale internationale n’a pas compétence en Palestine, Israël n’étant pas partie au Statut de Rome (voir état officiel des signatures et des ratifications, avec même le « retrait » inhabituel de sa signature du Statut de Rome en 2002, comme on peut le voir dans la partie finale du tableau). En ce qui concerne l’argument de la « non-signature » du Statut de Rome, il s’agit, comme indiqué précédemment, d’un argument qui a été clairement rejeté en février 2021 par une chambre préliminaire de la CPI, qui a considéré que la Palestine est un État partie au Statut de Rome.

Pourtant, loin des cris de victoire que la presse israélienne s’est empressée de relayer dans divers titres depuis le 24 avril, la Chambre d’appel n’a à aucun moment « suspendu », « révisé » ou « annulé », et encore moins « réformé » la décision faisant l’objet de l’appel interjeté par Israël : en effet, en annulant la décision antérieure de la Chambre préliminaire de la CPI de novembre 2024, elle ne se prononce pas sur le fond, mais renvoie l’affaire à cette dernière (la Chambre préliminaire) en lui indiquant qu’elle devra intégrer et se prononcer sur les arguments relatifs à sa compétence, qu’Israël lui avait présentés en son temps. Dans sa décision, il est indiqué que pour les cinq membres de la Chambre d’appel :

64. Accordingly, the Appeals Chamber is of the view that, in light of the preceding considerations, the most appropriate course of action is to reverse the Impugned Decision and remand the matter to the Pre-Trial Chamber for it to rule on the substance of the jurisdictional challenge. The Appeals Chamber notes that it is for the Pre-Trial Chamber to determine the applicable legal basis under article 19(2) of the Statute for addressing Israel’s jurisdictional challenge at the present stage of the proceedings, and to provide any required further instructions on the procedure to be followed.

Comme d’habitude dans ce genre de décisions concernant Israël, la simplification extrême dont font preuve les médias israéliens (et leurs relais locaux dans une multitude de salles de rédaction) tente de faire croire à l’opinion publique israélienne que la victoire d’Israël est totale, alors que la réalité est bien plus nuancée : les deux mandats d’arrêt restent en vigueur et il s’agit simplement d’une question de procédure que la Chambre préliminaire a été chargée de régler.

Brève mise en contexte procédurale concernant la question de la compétence

Le rappel qu’il convient de faire ici est que la question de la compétence de la CPI avait été clairement établie en février 2021, lorsqu’une chambre préliminaire de la CPI, après un long examen qui a duré plusieurs années, a confirmé la pleine compétence de la justice pénale internationale pour examiner la situation existant dans le territoire palestinien occupé, la Palestine étant État partie au Statut de Rome depuis 2015 (voir le texte intégral de cette décision en englais et en anglais) : cela sans exception d’aucune sorte, Gaza faisant partie du territoire palestinien au même titre que la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

Ce que la Chambre d’appel considère dans sa décision du 24 avril 2025, c’est qu’en rendant sa décision en novembre 2024, ensuite contestée par Israël, la Chambre préliminaire aurait dû réexaminer tous les arguments relatifs à la compétence de la CPI (déjà tranchés en février 2021 et considérés comme res judicata par les trois juges de la Chambre préliminaire en 2024) : un critère qui, bien sûr, est discutable (et fera probablement l’objet d’intenses débats entre juristes).

Le contexte dans lequel s’inscrit cette décision

Cette décision de la Chambre d’appel de la CPI intervient en pleine offensive destructrice d’Israël qui, en un peu plus d’un mois depuis le rapport des Nations Unies au 23 mars, a tué plus de 1890 personnes à Gaza, dont 595 enfants et 308 femmes. L’insensé acharnement militaire israélien depuis le 18 mars 2025 contre une population civile totalement démunie devrait permettre d’élargir la liste des responsables israéliens de telles exactions, appelés à répondre de leurs actes devant la justice pénale internationale. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a près de cinq ans, en juillet 2020, à la suite des premières enquêtes menées par le Bureau du Procureur de la CPI, la presse israélienne révélait que les autorités militaires préparaient une liste secrète de centaines de membres de leurs forces de sécurité impliqués dans des actes susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (voir la note de Haaretz du 16 juillet 2020 intitulée « Israel drafts secret list of hundreds of officials who may stand trial at International Court » ainsi que cette autre note publiée à la même date dans The Times of Israel).

Nous renvoyons nos estimés lecteurs au dernier rapport en date du 23 avril 2025, dans lequel on peut lire que :

Between 7 October 2023 and 22 April 2025, the MoH in Gaza reported that at least 51,266 Palestinians have been killed and 116,991 Palestinians injured. This includes 1,890 people killed and 4,950 injured since the escalation of hostilities on 18 March 2025, according to MoH. On 17 April, MoH published the breakdown casualties in Gaza between 18 March and 17 April. Of the 1,691 people killed, 595 were children, 308 women, 105 elderly and 683 men. Among the 4,464 people injured, 1,610 were children, 842 women, 225 elderly and 1,787 men, MoH reported.

La comparaison de ce rapport de situation au 23 avril avec le précédent en date du 15 avril (voir texte) met en évidence que l’armée israélienne a mené des actions meurtrières soutenues sans interruption durant la semaine où une partie du monde chrétien célébrait Pâques. Le dernier rapport des Nations Unies sur la situation à Gaza (voir rapport en date du 30 avril 2025) témoigne d’un acharnement maladif contre la population civile palestinienne, avec plus de 2300 morts depuis qu’Israël a rompu unilatéralement le cessez-le-feu convenu avec le Hamas, le 18 mars dernier.

Le 3 avril dernier, devant les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme a personnellement informé de la catastrophe humanitaire que connaît Gaza, avec un blocus total imposé par Israël à l’aide humanitaire, qui durait déjà depuis plus d’un mois à cette date (voir vidéo de son intervention, diffusée par un média africain, en raison de la faible couverture médiatique en Amérique du Nord et en Europe). À la date de rédaction de ces lignes (26 avril), la population de Gaza subit presque deux mois sans aide humanitaire de la part d’Israël, sans que cela soit mentionné dans les principaux médias internationaux. Depuis le 2 mars, rien n’entre à Gaza (voir rapport de Human Rights Watch).

Il convient de noter qu’en février 2025, un rapport conjoint de la Banque mondiale et de l’Union européenne (UE) – voir rapport – a estimé que les pertes et dommages causés à Gaza par Israël depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre 2023 s’élèvent à plus de 49 milliards de dollars américains (voir tableau et explications aux pages 3-4). On peut lire (page 25) que :

The assessment estimates around US$19.1 billion of economic and social losses incurred due to the conflict (see Figure 3). The sectors with the highest estimated losses are health with US$6.3 billion, education with US$3.2 billion, commerce and industry with US$2.2 billion, social protection at around US$1.4 billion, and agriculture at US$1.3 billion. The impacts, damages, and losses are thus greatest in housing with US$16.3 billion, commerce and industry with US$8.1 billion, health with US$7.6 billion, education with US$4.1 billion, and transport with US$2.9 billion.

On peut également souligner que, tout comme les plus hautes autorités israéliennes ont qualifié d’« antisémites » les juges de la CPI en novembre 2024 (voir note de presse), et ont demandé la démission du Secrétaire général des Nations Unies en octobre 2023 pour avoir rappelé le contexte dans lequel s’inscrivait l’attaque du 7 octobre (voir note de presse), en janvier 2024, elles ont jugé qu’une première ordonnance rendue par une autre juridiction internationale (la Cour internationale de Justice / CIJ) était totalement partiale en raison de « l’antisémitisme » supposé de certains de ses membres (voir note de The Guardian) : il s’agit d’une réaction courroucée d’Israël chaque fois que sa diplomatie échoue, et qui n’impressionne plus guère (sauf dans certains petits cercles politiques gravitant autour de la Maison Blanche aux États-Unis et quelques autres plus restreints actifs dans certaines capitales).

En conclusion

Au-delà de la facilité avec laquelle les termes « antisémite » ou « antisémitisme » sont utilisés dans les sphères gouvernementales israéliennes et dans les milieux qui leur sont proches, ces deux décisions de la Chambre de recours de la CPI feront sans doute l’objet de commentaires de la part des spécialistes du droit international.

Il est à noter qu’une autre épreuve devant la justice internationale attend Israël dans les prochains jours : en effet, à partir du 28 avril prochain, devant une autre juridiction internationale également située dans la ville de La Haye (la CIJ), une quarantaine d’États et quatre organisations internationales auront l’occasion de faire valoir devant les juges de la CIJ l’importance des règles juridiques qui s’imposent à tout État Membre des Nations Unies, cette fois dans le cadre d’une procédure consultative lancée par la Norvège en octobre 2024, que nous avons eu l’occasion d’analyser en son temps (Note 2). Du côté de l’Amérique latine, participeront — selon l’ordre de passage devant les juges de la CIJ (voir le programme publié le 23 avril dernier par la CIJ) — les États suivants : la Colombie, la Bolivie, le Brésil, le Chili, le Mexique et le Panama.

La longue liste des États et organisations internationales invités à s’adresser aux 15 membres de la CIJ ne comprend pas Israël, qui a jugé inutile dans cette affaire de présenter ses arguments devant la CIJ de La Haye. Si, pour certains analystes et commentateurs, il peut s’agir d’un détail de forme, cette omission de la part d’Israël confirme le discours d’Israël (et de ses alliés) visant à justifier légalement les actions d’Israël à Gaza et dans le reste du territoire palestinien occupé, sur la base de considérations et d’« arguments » juridiques déployés par son appareil diplomatique (ainsi que par un grand nombre d’analystes, de chroniqueurs et d’« experts » dans diverses entités et sous toutes les latitudes…) – ne résiste pas à un débat devant les juges de la CIJ. Sur ce point précis, nous avions eu l’occasion de signaler une omission très similaire dans le cadre de la procédure consultative précédente de la CIJ qui s’est conclue le 19 juillet 2024, avec un total de cinq modestes pages envoyées par Israël pour sa seule défense devant les juges de la CIJ (Note 3).

Revenant à la justice pénale internationale et aux effets des mandats d’arrêt émis par la CPI, à l’occasion des cérémonies officielles à Rome pour les funérailles de Sa Sainteté le Pape François ce 26 avril, le Premier ministre d’Israël ne s’est pas rendu à Rome, la ville où a été adopté le Statut de Rome en 1998 ; pas plus que le Président de la Russie, également visé par un mandat d’arrêt émis par une Chambre préliminaire de la CPI pour crimes de guerre commis en Ukraine (voir le communiqué officiel de la CPI relatif à ce mandat d’arrêt du 17 mars 2023).

Notes

Note 1 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : les mandats d’arrêt de la CPI contre le Premier ministre et (ancien) ministre de la Défense d’Israël et contre un dirigeant du Hamas. Portée et perspectives« , 21 novembre 2024. Texte disponible ici.

Note 2 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : la CIJ prépare des audiences publiques tandis que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU adopte une résolution sur l’obligation de prévenir le génocide« , 11 avril 2025. Texte disponible ici.

Note 3 : À cette occasion, nous nous sommes permis de souligner qu’en juillet 2024, lors de la publication de l’avis consultatif de la CIJ sur la colonisation et l’occupation illégale du territoire palestinien occupé, que :

À cet égard, les 292 pages du mémoire de la Palestine (voir le texte en français et en anglais) contrastent avec les modestes 5 pages envoyées à l’époque par Israël (voir le texte en français et en anglais).

En ce qui concerne Israël, il convient de préciser que, bien qu’il en ait eu la possibilité, Israël a choisi de ne pas participer par la suite aux audiences orales, un détail que la juge originaire des États-Unis à la CIJ a jugé nécessaire de souligner dans sa déclaration séparée (voir le texte), en précisant que :

4It also is unfortunate that Israel did not meaningfully participate in these advisory proceedings. Israel submitted a five-page written statement to the Court, together with annexes. It chose not to participate in the oral proceedings, despite the fact that up to the opening of those proceedings, the Court had reserved three hours for Israel to present its views — the same amount of time allocated to the observer State of Palestine, and six times the amount allocated to any other participant. This is an advisory proceeding, and no State was under an obligation to participate, including Israel. Israel’s participation in the oral proceedings, however, would have benefited the Court. Conversely, the failure of a State to participate cannot prevent the Court from fulfilling its responsibilities in replying to an advisory request

Voir BOEGLIN N., « Occupation prolongée et colonisation illégale israélienne du territoire palestinien : notes en relation avec l’avis consultatif récent de la Cour internationale de justice (CIJ)« , 19 juillet 2024. Texte disponible ici.