Titre original :

Concernant le projet de loi « pour la reconnaissance et la protection des défenseurs des droits de l’homme et des défenseurs de l’environnement » (Dossier 23.588)


Nous partageons l’article suivant écrit par Nicolás Boeglin, professeur de droit à l’UCR, sur le dossier 23.588.

Dans le Journal officiel du Costa Rica du 30 mars 2023, le projet de loi 23.588 a été publié (voir le lien, aux pages 2 à 7) : il s’intitule « Loi pour la reconnaissance et la protection des défenseurs des droits de l’homme et des défenseurs de l’environnement ».

S’agissant d’un domaine spécifique dans lequel plusieurs avancées notables du droit international public ont été enregistrées (tant au niveau des déclarations et des instruments normatifs – qu’ils soient de nature universelle ou régionale – qu’au niveau de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme), on aurait pu s’attendre à les voir incorporées dans un projet de loi de cette nature : ce n’est pas le cas. En effet, une lecture détaillée de ce texte révèle plusieurs lacunes et omissions graves qui témoignent de la précipitation avec laquelle il a été rédigé, notamment en ce qui concerne les « défenseurs de l’environnement » : nous détaillerons certaines de ces lacunes dans les lignes qui suivent.

Ces omissions reflètent la manière assez particulière dont certains projets de loi sont rédigés en mode « express ».

Ce qui s’est passé avec le projet de loi 23.588 ne doit pas être considéré comme un incident isolé : comme c’est devenu la coutume à l’Assemblée législative ces derniers temps, certains projets de loi semblent être formulés de manière si hâtive qu’ils sont rédigés sans grande consultation avec les entités impliquées dans le domaine qu’ils sont censés réglementer.

Une consultation antérieure qui a été faite ou … qui n’a pas été faite ?

La logique veut qu’avant de rédiger le texte d’un futur projet de loi, quelle que soit la portée de ce dernier, il y ait une phase de consultation préalable.

Il semble que soit cela n’a pas été fait, soit cela a été fait avec un groupe tellement restreint d’entités dédiées à cette question et de professionnels compétents dans ce domaine que très peu de gens savent qui ils sont.

Compte tenu de l’ampleur et de la complexité des problèmes auxquels le projet de loi 23.588 est censé apporter une réponse, il soulève des questions tout à fait pertinentes :

  • aucune consultation n’a eu lieu, ou ;
  • à un très petit groupe d’entités et d’individus, ou bien.. ;
  • que l’empressement à le présenter a été tel que les étapes que nous considérons comme fondamentales pour tout projet de loi avant sa formulation ont été sautées.

Cette consultation aurait sans aucun doute permis à cette proposition d’adopter une approche beaucoup plus globale et de couvrir les multiples aspects du problème à résoudre par le biais d’une nouvelle législation : organisations sociales, juges et professionnels du droit et d’autres disciplines, conseillers juridiques qui travaillent souvent avec le secteur environnemental costaricien, centres de recherche et universités, expérience déjà acquise sous d’autres latitudes, nombreuses publications et rapports existants, l’apport fourni aurait été d’une grande utilité.

Il est à noter que depuis 2015, un projet de loi 19.610 (voir texte) qui a donné lieu à des consultations attend patiemment que les députés le traitent : il vise simplement à réformer le code pénal pour y inclure les actes qui attaquent les activistes des droits de l’homme et punir leurs auteurs.

Une suggestion que nous pouvons faire aux législateurs actuels du Costa Rica ou de tout autre État cherchant à protéger les personnes qui défendent l’environnement par le biais d’une nouvelle loi, depuis le 21 avril dernier, la région de l’Amérique latine et des Caraïbes dispose d’un organe collégial composé d’experts qui pourraient également être consultés en vue de formuler le meilleur contenu pour une future loi : les sept membres du Comité d’appui et de suivi de la mise en œuvre ont été nommés dans le cadre de la COP2 de l’Accord d’Escazú qui s’est déroulée en Argentine. Nous avons eu l’occasion d’analyser brièvement les résultats de la COP2 : voir le lien vers notre article publié sur le site spécialisé Actualidad Ambiental. Dans le cas de la candidate costaricienne, il faut noter qu’elle a été nommée par les autres Etats parties à ce même comité (voir à ce sujet la note d’OjoalClima du 1/5/2023, seule référence que nous ayons trouvée dans les médias costariciens pour saluer sa nomination).

De certains aspects fondamentaux de la forme

Dès son titre, il est évident que les auteurs de la proposition de loi 23.588 ignorent plusieurs choses que, personnellement, nous considérons comme tout à fait fondamentales, et que nous détaillerons ci-dessous.

Depuis 1995, la législation costaricienne n’utilise plus le terme « medio ambiente » utilisé sous d’autres latitudes, mais plutôt « ambiente », comme la LOA elle-même (et non la LOMA) en abrégé : Ley Orgánica del Ambiente (voir texte intégral). Si la planète est une, si la Terre est une, il n’y a pas de raison d’utiliser le terme « medio » pour parler de l’environnement, qui est utilisé (par exemple) par nos collègues espagnols. Il est surprenant que les auteurs costariciens de cette proposition de loi ignorent les termes utilisés au Costa Rica pour se référer à l’« ambiente » dans la même législation nationale. Pour information, la Constitution politique elle-même dispose depuis 1994 d’un article qui n’utilise pas le terme « medio ambiente » mais qui se lit comme suit : « Article 50 : Toute personne a droit à un environnement sain et écologiquement équilibré ».

Toujours pour votre information, il existe depuis 2018 un traité régional qui vise à protéger les défenseurs de l’environnement (en utilisant le terme « ambiente » ou « ambientes » et non « medio ambiente » ou « medioambientales »…). Cet instrument juridique consacre une expression très précise qui englobe les défenseurs des droits de l’homme et les défenseurs de l’environnement : il s’agit de l’expression « défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement », telle qu’elle figure à l’article 9 de l’Accord d’Escazú (voir le texte intégral). Il est d’ailleurs frappant de constater l’absence totale de référence à l’Accord d’Escazú de la part des auteurs costariciens de ce projet de loi. Cette omission confirme (pour certains d’entre nous) le soupçon que nous avons : beaucoup au Costa Rica, de l’Assemblée législative elle-même (mais aussi du pouvoir exécutif et d’autres espaces), donnent leur avis sur l’Accord d’Escazú – généralement contre lui – sans même l’avoir lu.

Il convient de souligner que la proposition initiale d’incorporer une disposition spécifique sur les personnes défendant l’environnement dans le futur accord d’Escazú était le résultat d’une proposition conjointe du Chili, du Costa Rica, du Panama, du Paraguay et du Pérou (voir texte). El hacer mención de ello en un proyecto de ley como el 23.588 permitiría honrar esta valiente iniciativa que Costa Rica logró plasmar exitosamente con los demás cuatro Estados: convirtiendo de esta manera, el Acuerdo de Escazú, en el primer tratado a nivel mundial en interesarse por proteger específicamente a quienes defienden el ambiente, muchas veces desde sus pequeñas comunidades.

Afin de mieux comprendre les problèmes rencontrés par les défenseurs des droits de l’homme sur les questions environnementales, nous nous référons également au rapport du premier forum qui s’est tenu en novembre 2022 à Quito, en Équateur, sous les auspices de la CEPALC (voir texte). Un segundo foro muy similar tendrá lugar en Panamá a finales de septiembre del 2023.

Compte tenu du manque de connaissances en la matière, il est très probable que les auteurs de cette proposition de loi ignorent également que l’Accord d’Escazú dispose d’un « Guide de mise en œuvre », présenté formellement en avril 2022 par la CEPALC (disponible ici).

La protection des défenseurs de l’environnement est une question extrêmement complexe et sensible, qui nécessite une série d’actions de la part de l’Etat pour être efficace. Il est recommandé aux auteurs du projet de loi 23.588 de lire en particulier ce que le Guide établit en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 9 sur les défenseurs de l’environnement (pp.145-52) : en effet, en comparant ce que nous trouvons aux pp.145-152 avec le dispositif du projet de loi 23.588, les graves lacunes et omissions contenues dans ce projet de loi deviennent évidentes.

Sur certains aspects substantiels qui n’existent pas dans le projet de loi

Dans le cas du projet de loi 23.588, rien n’apparaît concernant les actions pénales pour diffamation présumée – accompagnées d’actions civiles en dommages et intérêts se chiffrant en millions de dollars – qui finissent toujours par être rejetées ou classées sans suite par les tribunaux pénaux du Costa Rica. Une réforme du code pénal permettrait de les utiliser moins facilement. Ces actions pénales sont intentées avec une intention clairement voilée : inspirer la peur à une personne au Costa Rica, dans son environnement le plus proche, et nuire à son travail de défense et de dénonciation pendant les années que dure la procédure devant le système judiciaire costaricien (Note 1). La doctrine anglo-saxonne qualifie ce type de procès de « SLAPP » : « Strategic Legal Actions Against Public Participation » (Note 2). Au Costa Rica, la controverse autour d’un projet minier de la société canadienne Infinito Gold a donné lieu au dépôt de cinq plaintes de ce type en 2010 (Note 3).

En relation étroite avec l’omission détectée ci-dessus, rien n’apparaît dans ce projet de loi 23.588 sur les garanties à la liberté d’expression qui sont étendues aux défenseurs de l’environnement et à tous les défenseurs des droits de l’homme dans leur travail : à cet égard, dans un jugement de 2022 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme sur les actions criminelles subies par un environnementaliste chilien renommé, nous lisons (au paragraphe 100) quelque chose qui a dû inspirer les auteurs de ce projet de loi 23.588 :

La Cour considère que le respect et la garantie de la liberté d’expression en matière d’environnement est un élément essentiel pour assurer la participation des citoyens aux processus relatifs à ces questions et, avec elle, le renforcement du système démocratique par la validité du principe de la démocratie environnementale.

D’ailleurs, l’expression « participation citoyenne en matière d’environnement », qui existe dans d’innombrables réglementations au Costa Rica et dans des sentences de la Chambre constitutionnelle (voir par exemple cette sentence de 2012, et ses développements dans le paragraphe V intitulé « Sur la participation citoyenne en matière d’environnement »), constitue une base solide pour établir la nécessaire protection de ceux qui défendent l’environnement. Depuis 1995, la même loi organique sur l’environnement (voir le texte) établit dans son article 6 que :

« Artículo 6.- Participación de los habitantes. L’État et les communes encouragent la participation active et organisée des habitants de la République à la prise de décisions et aux actions visant à protéger et à améliorer l’environnement. »

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a elle-même précisé la portée de ce véritable droit dans son avis consultatif OC-23 de 2017, publié en 2018 (voir le texte, en particulier les paragraphes 226-232). Malgré son importance, l’expression  » participation des citoyens en matière d’environnement  » ne trouve pas beaucoup de références dans le projet de loi 23.588. Cette omission nous semble tout à fait remarquable, c’est pourquoi nous posons la question suivante : les auteurs du projet de loi 23.588 ont-ils un problème quelconque avec la participation des citoyens en matière d’environnement ? (Note 4).

Le projet de loi 23.588 ne mentionne pas non plus la nécessité impérieuse de doter l’État costaricien d’un corps d’enquêteurs hautement spécialisés pour enquêter comme il se doit sur les actes d’atteinte à la vie des personnes qui s’expriment sur les questions environnementales au Costa Rica. L’impunité scandaleuse qui entoure une très longue série d’assassinats ou de menaces à l’encontre de personnes qui défendent l’environnement au Costa Rica prouve que l’appareil d’État ne sait pas (ou… ne veut pas savoir ?) comment enquêter sur ce type d’événements.

Par exemple, la lecture du rapport très complet présenté sur l’assassinat de Berta Cáceres en 2016 au Honduras (voir le texte intégral du rapport GAIPE 2017) renforce l’idée de disposer d’enquêteurs très expérimentés pour élucider des cas similaires à celui de cette célèbre leader Lenca opposée au projet hydroélectrique Agua Zarca, et pour démasquer la stratégie de dissimulation (ratée) tentée initialement par les autorités judiciaires honduriennes pour masquer les vraies raisons de son assassinat.

Couvrir les véritables auteurs et commanditaires de l’assassinat d’un leader environnemental (ou les auteurs des menaces proférées à son encontre alors qu’il est encore en vie) ? C’est souvent une tentation pour certaines autorités étatiques, en particulier lorsqu’un État est perçu comme agissant en totale synchronisation avec une entreprise en charge d’un mégaprojet. Dans de nombreux cas, l’étrange sentiment d’unisson entre l’État et les entreprises est partagé par de nombreux défenseurs de l’environnement en Amérique latine et dans le monde entier. Au Costa Rica, dans le cas du projet minier d’une entreprise canadienne déclaré « d’utilité nationale » par le pouvoir exécutif en octobre 2008, un titre de journal a choisi d’utiliser le mot « collusion » entre l’Etat costaricien et l’entreprise canadienne Infinito Gold (voir communiqué de presse). En 2021, nous nous sommes permis d’utiliser l’expression « symbiose éhontée » entre l’Etat et l’entreprise, à propos de ce que nous avons appelé « l’affaire Crucitas » (voir note 5).

Ce projet de loi ne contient pas non plus de disposition sur la nécessité de criminaliser l’incitation à la haine contre les écologistes : à cet égard, une affaire récente contre des écologistes dans le Sud Caraïbe costaricien (voir l’article de SurcosDigital) n’a donné lieu à aucune réprimande de la part du Conseil d’administration de l’Assemblée législative contre le député qui les avait traités de « terroristes » lors d’une audition tenue dans cette même Assemblée législative. Dans un autre type d’expression, en octobre 2010, la présidente du Costa Rica a également jugé utile et opportun d’attaquer publiquement les écologistes (voir le discours à partir de min 25:00 contenu dans le documentaire « El Oro de los Tontos »), sans s’être excusée ou avoir rectifié le contenu de ses paroles (ou expliqué pourquoi elle était soudainement si en colère contre le secteur environnemental costaricien…).

Afin que les auteurs de cette proposition de loi, apparemment peu au fait de la question, soient plus conscients de l’éventail des « techniques » utilisées pour intimider un groupe de personnes qui revendiquent leurs droits, des menaces et intimidations de toutes sortes aux tentatives de stigmatisation et aux campagnes de dénigrement, en passant par les poursuites pénales pour diffamation et incitation à la haine lancées par divers secteurs contre les défenseurs des droits de l’homme dans différentes parties du monde, et des menaces et intimidations de toutes sortes, des campagnes de stigmatisation et de dénigrement, des poursuites pénales pour diffamation et incitation à la haine lancées par divers secteurs contre les défenseurs des droits de l’homme dans différentes parties du monde, nous vous renvoyons à ce rapport de l’ONG Amnesty International et à cet autre rapport de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) sur les droits des personnes qui défendent l’environnement. Vous pouvez utilement compléter vos connaissances avec ce rapport du 2019 de la Commission interaméricaine des droits de l’homme intitulé « Entreprises et droits de l’homme : les normes interaméricaines » (en particulier les pages 118-129 et 156-172). En lisant attentivement ces trois documents, nous sommes certains que vous vous rendrez compte du fait suivant : le Bureau du médiateur n’est pas l’entité étatique la plus appropriée au Costa Rica pour protéger efficacement les défenseurs des droits de l’homme sur les questions environnementales, comme le prétend à tort ce projet de loi.

Les mécanismes probablement suivis pour arriver à ce projet de loi

La justification du projet de loi 23.588 témoigne d’une profonde méconnaissance de l’objet de ce projet. Elle est présentée de manière assez originale, puisqu’elle ne se réfère à aucun moment aux principes du droit de l’environnement en vigueur au Costa Rica et à la même réglementation qui existe depuis 1995.

Nous allons donc tenter d’expliquer comment il a été possible d’arriver à ce projet de loi avec une telle formulation et un tel libellé.

Il semble que, faute de temps pour la rédiger, un texte modèle de 2016 suggéré dans une brochure d’une réunion internationale parrainée par les Nations unies (« Loi type pour la reconnaissance et la protection des défenseurs des droits de l’homme » – voir le texte intégral et la citation en page 1) ait été utilisé, puis son champ d’application a été étendu à la hâte pour inclure les « défenseurs de l’environnement », avec les ajouts correspondants dans les articles 1 à 21 du dispositif ainsi que dans les articles 22 (réforme de la loi créant le bureau du médiateur) et 23 (réforme du code pénal).

Contrairement à ce que l’article 3 propose de manière plutôt restrictive en termes de définitions, nous nous référons à l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme sur la définition des personnes engagées dans la défense de l’environnement :

« 71. La définition de la catégorie des défenseurs des droits de l’homme est large et flexible en raison de la nature même de cette activité. Par conséquent, toute personne qui mène une activité de promotion et de défense de tout droit de l’homme, et qui se qualifie comme telle ou qui bénéficie d’une reconnaissance sociale de sa défense, doit être considérée comme un défenseur des droits de l’homme. Cette catégorie inclut, bien entendu, les défenseurs de l’environnement, également appelés défenseurs des droits de l’homme environnementaux ou défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement ».

(voir le texte intégral de l’arrêt de la Cour I/A H.R., Affaire Baraona Bray c. Chili, arrêt du 24/11/2022).

Une simple lecture de l’article 9 précité de l’Accord d’Escazú (voir lien vers son texte) aurait également aidé les auteurs de cette proposition de loi à utiliser les termes modernes utilisés pour définir un défenseur des droits de l’homme en matière d’environnement.

Quelques omissions notables concernant les meurtres d’écologistes au Costa Rica

Par ailleurs, la justification de ce projet de loi fait référence à l’affaire Jeanette Kawas Fernández c. Honduras, une écologiste assassinée en février 1995 au Honduras, dont le meurtre a donné lieu à un important arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme en avril 2009 (voir le texte intégral). Curieusement, aucune référence n’est faite au fait qu’en décembre 1994 et février 1995, les corps sans vie de quatre écologistes costariciens ont été retrouvés dans la capitale costaricienne : trois dans une maison incendiée à Moravia et le corps du quatrième dans un parc à La Uruca. L’affaire dite « AECO » n’a jamais donné lieu à une quelconque sanction. En 1999, la Procuraduría General de la República (PGR) a considéré – d’une manière qui nous semble très discutable et contestable – que :

  1. « – Selon les autopsies et les enquêtes sur les décès d’Oscar Fallas Baldí, de María del Mar Cordero Fernández et de Jaime Bustamante Montaño, leurs décès sont dus à un incendie accidentel.« « – Selon les autopsies et les enquêtes sur les décès d’Oscar Fallas Baldí, de María del Mar Cordero Fernández et de Jaime Bustamante Montaño, leurs décès sont dus à un incendie accidentel.« -« – Selon les autopsies et les enquêtes sur les décès d’Oscar Fallas Baldí, de María del Mar Cordero Fernández et de Jaime Bustamante Montaño, leurs décès sont dus à un incendie accidentel. ».
  2. – Selon l’autopsie et l’enquête sur le décès de David Maradiaga Cruz, sa mort est due à des causes naturelles ».

(voir le texte complet de l’avis du PGR – conclusions).

Près de 30 ans après ces événements, l’Etat costaricien n’a pas voulu mener une enquête sur ces quatre décès qui permettrait d’identifier et de punir les auteurs de ces quatre assassinats, avec très probablement deux types d’auteurs : les auteurs et les commanditaires, les premiers étant commandés par des secteurs économiques touchés par le travail de dénonciation de ces écologistes.

Chaque année, en décembre, des universitaires et des activistes tentent d’entretenir la mémoire de ces quatre décès, dont trois sont officiellement considérés comme « accidentels » par l’État costaricien et le quatrième comme « naturel » : voir par exemple cet article de notre collègue Mauricio Álvarez et la publication présentée en décembre 2020 sur la longue liste de personnes qui, outre les quatre environnementalistes susmentionnés, ont perdu la vie au Costa Rica en défendant l’environnement, intitulée : « Une mémoire qui se transforme en lutte : 30 ans de criminalisation du mouvement écologiste au Costa Rica ». Il n’est d’ailleurs pas fait mention de cette précieuse compilation présentée en 2020, qui pourrait être d’une grande utilité lors de l’élaboration d’une réglementation efficace visant à protéger les défenseurs de l’environnement au Costa Rica.

Ne pas faire référence à la douloureuse affaire AECO s’avère être une omission qui s’ajoute à l’omission d’une autre affaire beaucoup plus récente : en effet, nous ne trouvons aucune mention dans le projet de loi 23.588 de l’assassinat le 31 mai 2013 à Moin Beach de Jairo Mora Sandoval, qui a choqué l’ensemble de la société costaricienne et l’opinion publique internationale. L’enquête menée par les autorités a été si déficiente qu’un tribunal a choisi en 2015 d’acquitter les suspects (voir communiqué de presse), provoquant la profonde indignation de plusieurs ONG (voir lettre collective). Le 31 mai 2023, le 10e anniversaire de cet ignoble assassinat a été commémoré : voir le seul article publié dans la presse costaricienne (Semanario Universidad). Les nombreuses questions que nous avions soulevées lors du cinquième anniversaire de sa mort restent sans réponse.

La thèse officielle, annoncée par le vice-président de l’époque Alfio Piva sur CNN (voir vidéo) et sans aucune enquête policière, selon laquelle seuls des hommes-œufs et des trafiquants de drogue auraient pu avoir intérêt à éliminer physiquement Jairo Mora à Moin Beach ce funeste 31 mai, ne nous a pas convaincus à l’époque : 10 ans plus tard, elle ne convainc toujours pas grand monde au Costa Rica. D’ailleurs, ces déclarations sur CNN ont incité un membre du Congrès indigné à dire que.. :

« J’attends du vice-président qu’il présente des excuses à la famille de Mora et que la manière la plus claire d’honorer sa mémoire soit que l’État assume la recherche des coupables et la défense des tortues ».

(voir la note de CRHoy)
Photo extraite de l’article du Tico Times de 2016 intitulé « New trial in killing of Costa Rica conservationist Jairo Mora to start Jan. 25 ».

L’omission de toute référence au cas de Jairo Mora semble confirmer une fois de plus le manque de connaissance de la part des auteurs du projet de loi 23.588 concernant les expériences des défenseurs de l’environnement au Costa Rica. En particulier, il est surprenant qu’aucune des recommandations formulées dans le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’environnement et les droits de l’homme suite à sa visite au Costa Rica (points 54-57 sur le cas de Jairo Mora Sandoval et les recommandations plus générales faites au Costa Rica aux points 67-68) ne soit mentionnée. Étant donné que le contenu de ce précieux rapport est disponible depuis de nombreuses années pour tous ceux qui s’intéressent à la protection des défenseurs de l’environnement au Costa Rica, nous aimerions reproduire ce que nous avons lu dans le rapport A/HRC/25/53Add.1 (qui a été soumis aux Nations Unies en 2014) dans son point 67, et qui pourrait utilement inspirer les auteurs du projet de loi 23.588 :

« Cinquièmement, en ce qui concerne le risque de harcèlement et de violence à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme travaillant dans le domaine de l’environnement, l’experte indépendante recommande au Costa Rica d’intensifier ses efforts non seulement pour répondre aux menaces et aux actes de violence, mais aussi pour prévenir les situations qui donnent lieu à de tels problèmes. L’expert suggère au Costa Rica d’envisager sérieusement la création d’une commission ou d’un organe équivalent, composé de représentants d’un large éventail de parties prenantes et chargé d’examiner l’histoire et la situation actuelle des défenseurs des droits de l’homme travaillant sur les questions environnementales au Costa Rica et de formuler des recommandations sur la meilleure façon d’améliorer leur protection ».

Depuis 2014, cette recommandation (comme beaucoup d’autres) n’a pas trouvé d’écho dans l’appareil d’État costaricien. Face aux omissions de toutes sortes qui se multiplient à la lecture de cette proposition de loi, nous souhaitons poser les questions suivantes : les auteurs de cette proposition de loi ignorent-ils qu’en 2014, un rapport sur la visite de l’Expert indépendant sur les droits de l’homme et l’environnement a été présenté à l’ONU ? Si tel est le cas, ignorent-ils les différentes conclusions et recommandations faites au Costa Rica depuis 2014 ? Si tel est le cas, nous n’avons pas affaire à un projet de loi qui cherche réellement à protéger quelqu’un en particulier au Costa Rica, mais à quelque chose qui ressemble à une simple manœuvre d’un autre genre.

Il est à noter que malgré ces écarts frappants, les meurtres de deux leaders indigènes, Sergio Rojas et Jerhy Rivera, survenus à Salitre en mars 2019 et février 2020, sont cités comme les seuls cas recensés au Costa Rica : à cet égard, il convient de noter que le problème dramatique auquel sont confrontés les peuples indigènes du Costa Rica lorsqu’ils sont dépossédés de leurs droits sur leurs propres territoires est beaucoup plus complexe et mériterait une législation spécifique pour la protection de leurs leaders communautaires sur leurs territoires (ainsi qu’en dehors de ceux-ci). Un rapport de la plus haute instance de l’Université du Costa Rica (UCR) a détaillé cela en 2017 (voir le rapport). Par ailleurs, dans son rapport 2022 que nous avons eu l’occasion de commenter (Note 6), le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, suite à sa visite au Costa Rica, a suggéré que l’Etat costaricien présente formellement des excuses publiques aux communautés autochtones : une recommandation qui pourrait utilement être mise en œuvre par l’Assemblée législative costaricienne par le biais d’une déclaration – et qui, à ce jour, n’a pas été formulée.

À la suggestion ci-dessus, nous aimerions en ajouter une autre : nous recommandons que, lorsque l’Assemblée législative reprendra (un jour) la proposition de loi sur l’autonomie des territoires autochtones (classée sans vote en août 2020, ce qui a donné lieu à une action plutôt honteuse de la part de la même Assemblée législative, appelée depuis lors « la arrastrada » par les communautés autochtones), des mesures juridiques visant à protéger les dirigeants autochtones qui défendent les droits de leurs communautés et à prévenir les actes d’intimidation à leur encontre soient dûment incorporées. En 2020, à l’occasion du 10e anniversaire de cette triste nuit, nous avons eu l’occasion d’analyser la dette historique du Costa Rica à l’égard des droits des peuples indigènes. Un article récent et très complet publié en 2021 en Espagne intitulé « L’histoire derrière la mort de Sergio Rojas » (voir lien) détaille la complexité de la situation de violence que vivent au quotidien les indigènes costariciens de la région de Salitre : à ce jour, l’État costaricien n’a puni personne pour le meurtre de Sergio Rojas, leader indigène reconnu, survenu en mars 2019 et qui a conduit les Nations unies à demander au Costa Rica d’être beaucoup plus attentif au climat de violence contre les leaders indigènes menacés (Note 7). En septembre 2020, le ministère public a tenté de classer cette affaire (voir communiqué de presse), qui a été rejetée par un tribunal en janvier 2021 (voir communiqué de presse).

Enfin, l’absence dans ce projet de loi 23.588 de toute référence aux mécanismes mis en place au niveau national par certains Etats comme au Pérou (voir par exemple le mécanisme de protection développé en 2021 avec la création d’une Unité fonctionnelle pour les crimes environnementaux, UNIDA, et une analyse récente deux ans après sa création) ou au Mexique (voir le mécanisme créé qui peut être examiné aux pp. 159-181 de cette publication de la Commission mexicaine pour la défense et la protection des droits de l’homme et sa réforme adoptée en 2022 par le Congrès) nous confirme ce que tout conseiller parlementaire devrait savoir : la précipitation est tout sauf la bonne compagnie lorsqu’il s’agit de rédiger un texte. 159-181 de cette publication par la Commission mexicaine de défense et de protection des droits de l’homme et sa réforme adoptée en 2022 par le Congrès) confirme ce que tout conseiller parlementaire devrait savoir : la précipitation est tout sauf de bon aloi dans l’élaboration d’un texte.

En conclusion

Une justification aussi pauvre d’un projet de loi, manquant de tant d’éléments de base, nous permet d’affirmer qu’il est absolument fallacieux de soutenir, comme nous le lisons, que ce projet de loi « vise à s’établir comme un instrument du système juridique costaricien pour protéger et reconnaître les droits fondamentaux des défenseurs des droits de l’homme et des défenseurs de l’environnement, sur la base des normes dictées par les réglementations, les déclarations et la jurisprudence internationales en la matière ».

En outre, ces omissions déroutantes et ces lacunes surprenantes par rapport aux progrès réalisés depuis l’adoption de l’accord d’Escazú en mars 2018, ne peuvent que conduire à un dispositif qui conserve ces caractéristiques, et il est donc modestement suggéré aux auteurs de la présente proposition ce qui suit :

  1. de mettre à jour leurs connaissances dans le domaine ;
  2. de demander conseil à des groupes costariciens de défense des droits de l’homme et à des écologistes qui connaissent les limites du système juridique et à des personnes qui ont subi des intimidations, des menaces, des tentatives de diffamation, etc. au cours des 30 dernières années, et.. ;
  3. de rechercher, auprès du secteur universitaire ou d’un autre secteur, la manière de demander conseil aux différents experts et juristes dont dispose le Costa Rica dans ce domaine précis.

Tout cela afin de garantir l’élaboration d’une véritable proposition de réglementation, protectrice des droits des défenseurs de l’environnement au Costa Rica et, cette fois, « fondée sur les normes dictées par les réglementations, déclarations et jurisprudences internationales en la matière ».

Comme petit détail, qui peut expliquer l’origine d’un intérêt aussi soudain pour cette question complexe, nous conclurons avec l’idée suivante : étant donné que l’Accord d’Escazú a été formellement mis de côté par l’Assemblée législative le 1er février 2023 et que ce projet de loi a été diffusé dans le flux législatif le 27 février 2023 selon sa fiche technique, le projet de loi 23.588 peut être compris comme une tentative (quelque peu grossière) de remédier à ce qui est tristement irrémédiable aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale.

Cette simple liste de dates permet de mieux comprendre la précipitation avec laquelle ce projet de loi 23.588 a été élaboré.


Notes

Note 1 : Dans le cas de l’aqueduc Coco-Sardinal à Guanacaste, sept personnes ont fait l’objet d’actions pénales de ce type en 2008. Dans le cas de la cimenterie située au centre de San Rafael de Alajuela, il y a eu plusieurs accusés dans la période 2010-2011. Nous connaissons plusieurs personnes qui ont dénoncé l’expansion de l’ananas à Siquirres dans la période 2007-2011 et qui ont également fait l’objet de poursuites pénales accompagnées d’actions civiles pour des dommages et intérêts se chiffrant en millions de dollars. Dans le cas du soi-disant projet minier situé à Las Crucitas, cinq personnes ont été poursuivies en 2011 par l’entreprise canadienne Infinito Gold, dont deux députés.

Nota 2: Estas acciones penales buscan ante todo presionar e intimidar a líderes ecologistas, campesinos, indígenas o bien de otros colectivos sociales que alzan la voz ante los atropellos de los que son víctimas por parte de empresas y de corporaciones. Su objetivo es claramente de carácter intimidatorio y en la doctrina anglosajona se denominan « SLAPP actions » (Strategic Legal Actions Against Public Participation). Ce précieux rapport intitulé « Silencing Human Rights and Environmental Defenders : The overuse of Strategic Lawsuits against Public Participation (SLAPP) by Corporations » analyse l’impact de ces actions criminelles, tandis que vous trouverez sur ce lien un rapport publié en 2022 qui inclut une partie de la pratique en Amérique latine, intitulé « SLAPPS in Latin America ».

Note 3 : Il s’agit de poursuites pénales intentées par l’entreprise minière Infinito Gold contre deux membres du parlement (voir l’article de Panama America de 2011), ainsi que contre un dirigeant communautaire et deux professeurs d’université. En relation avec ces trois derniers procès, les défendeurs ont publié en 2012 un article intitulé « Audiences avec Infinito : absences… » dans La Nación (voir l’article dans l’édition du 3/07/2012 et repris dans Kioscos Ambientales) au sujet d’étranges pathologies récurrentes des avocats de l’entreprise tendant à reporter, dans trois affaires pénales différentes, les audiences devant le juge prévues pour résoudre ces trois procès (qui ont finalement été rejetés). Le programme Era Verde de la chaîne 15 de l’Université du Costa Rica (UCR) a consacré deux émissions intéressantes au sort de ces cinq procès en diffamation intentés par Infinito Gold (voir vidéo 1 et vidéo 2), y compris des entretiens avec les personnes accusées par la société minière canadienne.

Note 4 : Il convient de rappeler qu’en 2008, la seule loi approuvée par l’Assemblée législative et à laquelle le pouvoir exécutif costaricien a opposé son veto pendant toute la période 2006-2010 a été la « Loi de renforcement des mécanismes de participation citoyenne en matière d’environnement » (voir le texte intégral accompagné du texte du veto présidentiel du 24 novembre 2008). Dans le rapport de travail 2008 d’une chambre de commerce influente, on peut lire que : « De même, à la fin de l’année, l’UCCAEP a exercé la pression nécessaire pour que le président de la République oppose son veto à la loi sur l’environnement. À cette fin, une série d’articles d’opinion ont été publiés et plusieurs représentants ont été présents dans les médias concernant la position du secteur des entreprises à l’égard de la loi approuvée par l’Assemblée législative » (voir le texte du rapport de l’UCCAEP intitulé « Informe de Labores, mars 2009 », p. 36).

Nota 5: Véase BOEGLIN N., « Infinito Gold contra Costa Rica. El reciente laudo arbitral del CIADI sobre el proyecto minero ubicado en Las Crucitas », Portal de la Universidad de Costa Rica, édition du 15/06/2021, disponible ici.

Nota 6: Véase BOEGLIN N. « Costa Rica y pueblos indígenas: informe de Relator Especial exhibe graves y persistentes lagunas », La Revista.cr, edición del 30/09/2022, disponible aquí. Une version préliminaire antérieure a été publiée sur le site web de l’Université du Costa Rica (UCR) : « Informe del Relator Especial exhibe graves y persistentes lagunas del país », Portal de la Universidad de Costa Rica, Sección Voz Experta, édition du 10/06/2022, disponible ici.

Nota 7: Note 7 : Voir notre note BOEGLIN N., « Asesinato en Costa Rica del líder indígena Sergio Rojas: carta de Naciones Unidas hecha pública », Red Internacional de Derechos Humanos (RIDH), 3 /06/2019. Texte complet disponible ici.