Nous partageons le texte écrit par le professeur Nicolás Boeglin, de la Faculté de droit de l’Université du Costa Rica. Titre original : « Gaza / Israël : la Cour internationale de justice (CIJ) organise des audiences dans le cadre du procès du Nicaragua contre l’Allemagne ».


We fear that this already catastrophic situation may slide deeper into the abyss as many Palestinians mark the holy month of Ramadan – a period that is meant to honour peace and tolerance – should Israel launch its threatened military offensive into Rafah, where 1.5 million people have been displaced in deplorable sub-human conditions.

Any ground assault on Rafah would incur massive loss of life and would heighten the risk of further atrocity crimes. This must not be allowed to happen. We also fear that further Israeli restrictions on access by Palestinians to East Jerusalem and Al Aqsa Mosque during Ramadan could further inflame tensions.

The UN High Commissioner for Human Rights repeats that there must be an immediate end to this conflict, and that the killing and destruction must stop.

 Spokesperson, UN High Commissioner for Human Rights, Geneva, « Fears over Gaza catastrophe as brutal conflict enters sixth month »
Official statement, March 8th, 2024

Le 15 mars 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a annoncé que des audiences avaient été fixées aux 8 et 9 avril dans l’affaire opposant le Nicaragua à l’Allemagne devant le juge international de La Haye.

Il s’agit d’une plainte du Nicaragua déposée le 1er mars 2024, accompagnée d’une demande de mesures provisoires urgentes. L’Allemagne est accusée d’avoir manqué à ses obligations de prévention du génocide à Gaza. Elle se fonde sur la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du génocide (convention multilatérale à laquelle l’Allemagne et le Nicaragua sont parties).

Le communiqué de presse officiel de la CIJ sur la tenue de ces audiences est disponible en français et anglais.

Bref contexte

Cette action du Nicaragua découle en grande partie de l’action initialement intentée par l’Afrique du Sud contre Israël et de l’injonction prononcée à La Haye le 26 janvier 2024.

Comme on s’en souviendra, l’Afrique du Sud a déposé pour la première fois une requête contre Israël auprès de la CIJ le 29 décembre 2023. La CIJ a répondu par une ordonnance le 26 janvier 2024. (Voir le texte officiel de cette ordonnance en français et anglais et en particulier l’ordonnance adressée à Israël au paragraphe 86 du dispositif).

Par la suite, l’Afrique du Sud a présenté :

  • une seconde demande présentée le 12 février 2024. La CIJ a répondu le 16 février par un simple communiqué de presse (voir texte en français et anglais). Il est indiqué qu’aucune mesure supplémentaire à celles ordonnées à l’encontre d’Israël le 26 janvier n’était nécessaire à ce stade ;
  • une troisième requête de l’Afrique du Sud (dont la lecture complète et détaillée est recommandée) présentée le 6 mars 2024. Elle peut être consultée sur ce lien officiel de la CIJ en anglais. La CIJ n’a pas encore répondu.

Rappelons que le Nicaragua, comme plus de 150 autres États, a exprimé sa satisfaction et son soutien à la revendication de l’Afrique du Sud devant la justice internationale (voir communiqué de presse de Swiss Info du 10 janvier 2024). En Amérique latine, le premier État à exprimer son soutien à la plainte de l’Afrique du Sud a été la Bolivie dans un communiqué diplomatique officiel daté du 7 janvier (voir texte complet du communiqué).

Il convient également de noter que le Nicaragua n’entretient plus de relations diplomatiques avec Israël depuis juin 2010. (Voir note de El Tiempo / Colombie du 1er juin 2010). Le Nicaragua partage cette situation avec d’autres États d’Amérique latine. La Bolivie (octobre 2023) et le Belize (novembre 2023) sont les deux derniers États à avoir rompu leurs relations diplomatiques avec Israël (Note 1).

Le Nicaragua Et La Cause Palestinienne : Une Longue Histoire

Nous partageons le texte écrit par le professeur Nicolás Boeglin, de la faculté de droit de l'UCR, sur la situation au Nicaragua et en Allemagne.

D’un point de vue historique, il convient de noter que dans les années 1960 et 1980, le Nicaragua et Israël ont entretenu des relations très étroites en termes de coopération militaire. Ceci explique pourquoi, depuis juillet 1979, les autorités nicaraguayennes sont si proches de la cause palestinienne. Dans cet article, intitulé « Israeli Agency in the Iran-Contra Affair » publié en 2016, on peut lire (pages 8-9) que :

In February 1957, a Nicaraguan delegation to Israel negotiated a $1.2 million arms deal with Shimon Peres who was the director general of the Israeli Defence Ministry. According to the Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), by the 1970s Israel accounted for 98% of Nicaragua’s arms imports. This included tanks, light aircraft, armoured cars, ammunition, and automatic rifles. In early 1978, Somoza changed his National Guard’s standard arms from the American Garan M-1, to the modern Israeli Galil assault rifle.Some members of the National Guard were also armed with Israeli made lightweight UZI submachine guns. In January 1979, a group of American diplomats expressed concern over Somoza’s military overconfidence, that “one reason Somoza was so cocky in resisting pressures to resign was the knowledge that Israel, which had been a full-times arms salesman working the countries of the Caribbean Basin, could and would supply whatever the National Guard needed.

A Managua, pour commémorer le 10e anniversaire de la mort du leader palestinien Yasser Arafat, une cérémonie officielle a été organisée avec les plus hautes autorités du Nicaragua (voir communiqué de presse de novembre 2014). Récemment – fin janvier 2024 -, le décès d’une poétesse nicaraguayenne de renom, dont la famille était originaire de Palestine, a été signalé. Elle était la compagne sentimentale de Yasser Arafat (voir la photo d’archive contenue dans cette note de La Prensa de Nicaragua, et ce communiqué de presse du 28 janvier 2024).

Le Nicaragua soutient l’Afrique du Sud et les civils assiégés à Gaza

En ce qui concerne les autres États qui soutiennent les actions de la diplomatie sud-africaine contre Israël, nous avons déjà eu l’occasion dans une précédente note d’expliquer la portée de la demande d’intervention présentée par le Nicaragua le 22 janvier dernier. Celle-ci a été rendue publique par la CIJ le 8 février 2024. (Voir notre note précédente intitulée « Gaza / Israel: a propósito de la reciente solicitud de intervención de Nicaragua ante la Corte Internacional de Justicia (CIJ) en la demanda de Sudáfrica contra Israel« ).

Outre cette demande d’intervention en tant que tierce partie dans le différend entre l’Afrique du Sud et Israël, le Nicaragua a déposé une requête auprès de la CIJ, cette fois contre l’Allemagne. Cette requête était accompagnée, comme indiqué ci-dessus, d’une demande urgente de mesures conservatoires.

Cette initiative a été officiellement enregistrée le 1er mars (voir texte officiel de leur plainte). Le Nicaragua souligne que les actions et les déclarations officielles de l’Allemagne en faveur d’Israël sont contraires aux obligations que tout État partie à la convention de 1948 sur le génocide doit respecter, notamment l’obligation de prévenir tout nouveau génocide. Cela inclut l’obligation de prévenir un nouveau génocide, en particulier s’il s’agit d’un État qui exporte des armes vers Israël.

L’action en justice conteste également la décision de l’Allemagne de suspendre sine die ses contributions à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). (Ce link détaille les contributions de chaque État et organisation internationale à l’UNRWA). ) Il est intéressant de noter que ces accusations israéliennes sont intervenues quelques heures seulement après l’annonce de l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier – coïncidence de calendrier ou manœuvre subtile pour détourner l’attention de l’échec diplomatique retentissant d’Israël à La Haye ?

Au 1er mars, Israël n’avait toujours pas envoyé les « preuves irréfutables » aux enquêteurs de l’ONU (voir note du The Guardian). À cet égard, il convient de noter que le 10 mars, la Suède et le Canada ont annoncé qu’ils reprendraient le financement de cette importante agence humanitaire (voir note de la BBC). Il en va de même pour l’Australie, comme l’ont annoncé les autorités australiennes le 15 mars (voir note d’AP). Et la Finlande le 22 mars (voir le communiqué de presse).

Pour sa part, la Norvège avait indiqué qu’elle ne suspendrait pas ses contributions tant que des « preuves solides » de l’implication présumée de l’agence dans l’attaque du Hamas du 7 octobre n’auraient pas été rendues publiques (voir note dans le Times of Israel du 1er février).

Un article du New York Times du 3 mars (voir text) et une note de la BBC du 11 mars notent que les prétendues « preuves irréfutables » d’Israël contre plusieurs fonctionnaires de l’UNRWA ont été obtenues par des aveux obtenus en recourant aux menaces, à l’intimidation, à la torture et à toutes sortes de mauvais traitements.

Un article du New York Times du 3 mars (voir text) et une note de la BBC du 11 mars notent que les prétendues « preuves irréfutables » d’Israël contre plusieurs fonctionnaires de l’UNRWA ont été obtenues par des aveux obtenus par le recours aux menaces, à l’intimidation, à la torture et à toutes sortes de mauvais traitements.

Dans le cas du Royaume-Uni, la chaîne d’information AlJazeera a publié le 13 mars un rapport détaillé dont la lecture est recommandée (voir lien), notant que : « Al Jazeera continuera à demander au ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement de partager les allégations israéliennes contre l’UNRWA qu’il a reçues« .

Concernant AlJazeera, un rapport intéressant – rarement référencé dans les médias internationaux européens ou nord-américains – publié en Israël par le journal Haaretz explique le réseau d’information pro-israélien qui a concentré une grande partie de ses efforts sur le discrédit de l’UNRWA (voir rapport par AlJazeera le 19 mars 2024).

Avertissement du Nicaragua à plusieurs États exportant des armes vers Israël

En ce qui concerne le Nicaragua et les transferts d’armes vers Israël, il convient de noter qu’un mois plus tôt, le 1er février 2024, un communiqué officiel du Nicaragua mettait en garde l’Allemagne, le Canada, les Pays-Bas et le Royaume-Uni contre une telle action : voir le texte de ce communiqué reproduit dans ce lien de El19Digital au Nicaragua. Dans ce document annexé à la plainte du Nicaragua, vous pouvez lire le contenu détaillé de la lettre initiale du Nicaragua à l’Allemagne (pages 2 à 9).

Il semble que, du moins pour l’instant, c’est contre l’Allemagne que le Nicaragua a décidé de concentrer ses actions devant le juge de La Haye. Les raisons exactes de ce choix parmi les Etats fournisseurs d’armes à Israël ne sont pas expliquées dans son mémoire.

Dans le cas des Pays-Bas, le 12 février, les autorités israéliennes ont été informées d’une décision d’un tribunal national ordonnant l’arrêt immédiat des exportations vers Israël de composants pour les avions de combat F-35 des Pays-Bas (voir note de la BBC du 12 février). Dans le cas du Royaume-Uni, il a été indiqué le 21 février (voir note du The Guardian) que si Israël lançait son offensive sur Rafah, les exportations d’armes britanniques vers Israël seraient suspendues.

Dans le cas du Canada, il a été rapporté le 14 mars (voir note par CBC News) qu’une demande israélienne de véhicules militaires – peut-être de nature urgente – est traitée de manière peu expéditive par les autorités canadiennes. Le 19 mars, un premier vote des membres du Congrès canadien exigeant l’arrêt immédiat des exportations d’armes vers Israël a été rapporté au Canada (voir note du The Guardian).

Transferts d’armes à Israël devant un juge international qui a qualifié de « plausible » le risque de génocide à Gaza.

Nous partageons le texte écrit par le professeur Nicolás Boeglin, de la faculté de droit de l'UCR, sur la situation au Nicaragua et en Allemagne.

Dans un récent note communiqué de presse d’EuroNews daté du 11 mars sur le commerce mondial des armes, on peut lire ce qui suit :

The US and Germany accounted respectively for 69% and 30% of arms imports by Israel, which is currently fighting a deadly war against Hamas in Gaza which killed over 30,000 people, most of whom were civilians.

A ce jour, il n’existe pas de rapport technique ou de tableau comparatif accessible au public, publié par un centre spécialisé dans les transferts d’armes, sur l’origine exacte des armes, munitions et composants électroniques qu’Israël importe pour équiper son armée (et nous serions reconnaissants à nos estimés lecteurs de bien vouloir en indiquer l’auteur s’ils en connaissent l’existence en envoyant un message à : cursodicr(a)gmail.com). Si les informations ci-dessus sont confirmées, l’Allemagne serait le deuxième fournisseur d’armes d’Israël après les Etats-Unis.

Dans son plainte contre l’Allemagne, le Nicaragua déclare (paragraphe 53) :

53. /…/ By the end of 2023, the German Government had granted military exports to Israel in the amount of 326,505,156 euros. On January 2024, German media reported that Israel had made a request for tank shells, especifically 10,000 120-millimeter Rheinmetall precision rounds. Der Spiegel reported that Germany had agreed to deliver the request from its own stocks in order to be able to comply with the “urgency”. According to information made available by the German Government, export licences granted between January 2024 and 15 February 2024 concerned military equipment worth 9,003,676 euros.

Il convient de noter que le commerce des armes est un domaine spécifique du droit international public, avec des ramifications pour le droit national lorsqu’il existe un risque d’abus, et avec un régime juridique qui entraîne des responsabilités nationales pour les États exportateurs d’armes, comme l’explique un document publié en 2021 qui conclut (page 53) :

Legal challenges are gradually becoming a pragmatic response in the face of apparently unlawful decisions by arms exporting states. Governments should recognise this shift and the possibility that their decisions on arms exports will increasingly be subject to legal challenges before domestic courts. Their decisions must be able to withstand judicial oversight and must conform with obligations under both international and domestic law.

(Note 3).

Il convient de noter que le 6 mars, la pression sur l’exécutif américain s’est accrue lorsque le Washington Post a publié un rapport intitulé « U.S. floods arms into Israel despite mounting alarm over war’s conduct » (la lecture du rapport complet est recommandée), dans lequel est révélée l’opacité totale des transferts d’armes américains vers Israël depuis le 7 octobre.

D’un point de vue juridique, il convient de noter que ni Israël ni les États-Unis ne sont des États parties à la Convention sur le commerce des armes adoptée en 2013, qui compte 113 États parties (voir official status des signatures et ratifications). Au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, parmi les cinq membres permanents, seuls les États-Unis et la Russie persistent à ne pas se soumettre aux obligations contenues dans ce traité multilatéral.

En ce qui concerne les États-Unis et l’opacité mentionnée ci-dessus, il faut ajouter la compréhension limitée que le public américain a de la réalité à Gaza, et la manière biaisée dont les États-Unis accordent une couverture journalistique au drame inhumain de Gaza : à cet égard, nous recommandons l’écoute de cette récente (et très complète) interview par Democracy Now..

Enfin, dans le cas de la France, une question très précise posée le 7 mars 2024 par un sénateur au ministère français de la Défense concernant l’utilisation de composants militaires « ML4 » exportés vers Israël (voir question) est en attente de réponse. Une question antérieure, plus générale, posée en novembre 2023 a reçu une réponse en février 2024. La réponse concluait (voir link) que :

La France a rappelé le droit d’Israël à se défendre, qui doit s’exercer dans le respect du droit international humanitaire. Le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire par le pays destinataire, de même que les conséquences pour la paix, la sécurité et la stabilité régionales, sont pleinement pris en compte dans le cadre de l’examen des exportations de matériel de guerre par la CIEEMG. Cette stricte grille d’analyse n’a pas conduit à suspendre intégralement le flux d’exportations de matériels de guerre depuis le 7 octobre 2023.

La dernière pétition du Nicaragua sera bientôt présentée

Dans la requête adressée par le Nicaragua à la CIJ, et plus précisément dans la dernière partie de sa requête dans laquelle il demande à la CIJ d’ordonner des mesures conservatoires urgentes à l’encontre de l’Allemagne, nous lisons que le Nicaragua demande plusieurs points aux juges de la CIJ, à savoir (paragraphe 101) :

…, Nicaragua respectfully requests the Court, as a matter of extreme urgency, pending the Court’s determination of this case on the merits, to indicate the following provisional measures with respect to Germany in its participation in the ongoing plausible genocide and serious breaches of international humanitarian law and other peremptory norms of general international law occurring in the Gaza Strip: 

(1) Germany shall immediately suspend its aid to Israel, in particular its military assistance including military equipment, in sor far as this aid may be used in the violation of the Genocide Convention, international humanitarian law or other peremptory norms of general international law such as the Palestinian People’s right to self-determination and to not be subject to a regime of apartheid;

(2) Germany must immediately make every effort to ensure that weapons already delivered to Israel are not used to commit genocide, contribute to acts of genocide or are used in such a way as to violate international humanitarian law;

(3) Germany must immediately do everything possible to comply with its obligations under humanitarian law; 

(4) Germany must reverse its decision to suspend the funding of UNRWA as part of the compliance of its obligations to prevent genocide and acts of genocide and the violation of the humanitarian rights of the Palestinian People which also includes the obligation to do everything possible to ensure that humanitarian aid reaches the Palestinian people, more particularly in Gaza;

(5) Germany must cooperate to bring to an end the serious breaches of peremptory norms of international law by ceasing its support, including its supply of military equipement to Israel that may be used to commit serious crimes of international law and that it continue the support of the UNRWA on which this Organizations has counted and based its activities.

On notera l’éventail très varié de la requête du Nicaragua contre l’Allemagne, et la référence répétée dans plusieurs parties de la requête du Nicaragua aux « normes impératives du droit international général » (mieux connues dans la doctrine sous le nom de normes de jus cogens) : il s’agit de normes considérées comme supérieures à toutes les autres, et qui n’admettent aucune exception, liant tous les États de la même manière.

Cette catégorie spécifique de normes a été consacrée par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (voir texte) dans son article 53 : tout traité dont les dispositions violent des règles impératives du droit international général est considéré comme juridiquement nul. Au-delà de la discussion doctrinale sur le contenu exact des normes de jus cogens, l’interdiction du génocide et la prévention du génocide peuvent être considérées comme des « normes impératives du droit international général« , qui lient tous les États de la même manière, y compris l’Allemagne.

L’Allemagne n’étant pas le seul fournisseur d’armes ou de composants électroniques à des fins militaires d’Israël, la pétition du Nicaragua devrait intéresser de nombreux autres États parties à la Convention sur le génocide de 1948 ; et accessoirement, elle devrait également soulever la question (en Allemagne) des organisations sociales qui, sauf erreur, n’ont pas pris la peine d’activer les mécanismes juridiques prévus lorsque des armes allemandes sont exportées vers des destinations où leur utilisation abusive contre des populations civiles sans défense est évidente (Note 4). Un récent sondage en Allemagne montre que 69 % des Allemands considèrent que les actions militaires d’Israël à Gaza sont injustifiables (voir graphique par ZDFHeute publié le 23 mars sur les médias sociaux).

L’absurdité d’Israël contre les civils de Gaza

Nous partageons le texte écrit par le professeur Nicolás Boeglin, de la faculté de droit de l'UCR, sur la situation au Nicaragua et en Allemagne.

Le dernier rapport de l’ONU avant l’annonce de la CIJ ce 15 mars 2024 (voir report au 15 mars) souligne le niveau de folie qu’Israël a atteint en ignorant l’ordre de la CIJ depuis le 26 janvier 2024, en lisant que :

Intense Israeli bombardment and ground operations as well as heavy fighting between Israeli forces and Palestinian armed groups continue to be reported across much of the Gaza Strip, particularly in the Hamad area of Khan Younis, resulting in further civilian casualties, displacement, and destruction of houses and other civilian infrastructure.

Between the afternoon of 14 March and 10:30 on 15 March, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 149 Palestinians were killed and 300 Palestinians were injured. Between 7 October 2023 and 10:30 on 15 March 2024, at least 31,490 Palestinians were killed in Gaza and 73,439 Palestinians were injured, according to MoH in Gaza.

Between the afternoons of 14 and 15 March, according to the Israeli military, there were no Israeli soldiers killed in Gaza. As of 15 March, 247 soldiers have been killed and 1,476 soldiers injured in Gaza since the beginning of the ground operation, according to the Israeli military. In addition, over 1,200 Israelis and foreign nationals have been killed in Israel, the vast majority on 7 October. As of 15 March, the Israeli authorities estimate that 134 Israelis and foreign nationals remain captive in Gaza, including fatalities whose bodies are withheld.

En ce qui concerne les chiffres des morts et des blessés fournis par les Nations unies, nous nous référons à une réponse que nous aurions dû donner à l’ambassadeur d’Israël au Costa Rica, dans le cadre d’un forum public organisé par l’Université du Costa Rica (UCR) le 13 mars 2024 et intitulé « Histoire et désinformation : perspectives critiques sur le conflit Gaza/Israël » : de manière assez discutable, le plus haut représentant d’Israël au Costa Rica a jugé utile et opportun de « avertir » quelques heures avant l’événement ses organisateurs, du manque de validité des chiffres sur les morts et les blessés à Gaza qui circulent (voir notre réponse dans le vidéo de l’événement, à mn. 1:25:11).

A noter que, 24 heures après ce forum, le recteur de l’UCR aurait décliné une invitation du même diplomate israélien pour une rencontre à son domicile (voir note dans le Semanario Universitario du 14 mars 2024).

Il convient de noter que, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un État soumis à une ordonnance de la CIJ, Israël a intensifié ses actions pour empêcher l’aide humanitaire d’atteindre Gaza depuis le 26 janvier. Un rapport récent de l’ONG britannique OXFAM, intitulé « Infliger des souffrances et des destructions sans précédent : sept façons dont le gouvernement d’Israël bloque et/ou sape délibérément la réponse humanitaire internationale dans la bande de Gaza » (voir lien) conclut (page 15) que :

Humanitarian access in the Gaza Strip has effectively worsened since the International Court of Justice ordered Israel to ‘‘take immediate and effective measures to enable the provision of urgently needed basic services and humanitarian assistance to address the adverse conditions of life faced by Palestinians in the Gaza Strip’. The continued deliberate deprivation of access to basic assistance directly increases starvation against the backdrop of a serious risk of genocide.

Ce 21 mars 2024, c’est le même Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui a dénoncé Israël en des termes très clairs, en déclarant que (voir déclaration officielle) :

Deliberate actions such as blocking and restricting humanitarian aid appear to be calculated to bring about the physical destruction of Palestinian children, and we refer in this regard to the interim ruling of the International Court of Justice (ICJ) on 26 January 2024, which found some rights claims by South Africa under the Genocide Convention to be “plausible« .

We draw attention to the ICJ’s order to Israel to “take all measures within its power to prevent the commission of all acts within the scope of article II of the Convention”, including killing members of the group; to “prevent and punish the direct and public incitement to commit genocide”; and to “enable the provision of… humanitarian assistance« .

Since the ICJ order on 26 January, and as of 19 March, an average of over 108 Palestinians have been killed and another 178 injured every day in Gaza, and children are amongst them. The looming invasion of Rafah will take the fragile situation to the breaking point, putting the lives of 600,000 children at immediate risk, and will rapidly reach the tipping point of famine.

En guise de conclusion

La précipitation de la CIJ à convoquer des audiences dans l’affaire du Nicaragua contre l’Allemagne répond à l’urgence totale du drame inhumain auquel Israël soumet la population civile palestinienne depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre. Notons que ces audiences débuteront seulement 24 heures après 6 mois à compter du 7 octobre 2023.

D’un point de vue juridique, l’Allemagne est un État partie à la Convention sur le commerce des armes de 2013 (voir texte complet), dont l’article 6(3) est libellé comme suit :

3. Un Estado parte no autorizará ninguna transferencia de armas convencionales comprendidas en el artículo 2, párrafo 1, ni de elementos comprendidos en el artículo 3 o el artículo 4, si en el momento de la autorización tiene conocimiento de que las armas o los elementos podrían utilizarse para cometer genocidio, crímenes de lesa humanidad, infracciones graves de los Convenios de Ginebra de 1949, ataques dirigidos contra bienes de carácter civil o personas civiles protegidas, u otros crímenes de guerra tipificados en los acuerdos internacionales en los que sea parte.

(Soulignement ajouté)

La Convention sur le génocide de 1948 est une convention ratifiée par 153 États (voir official status des signatures et ratifications), et l’ordonnance de la CIJ ayant été rendue le 26 janvier 2024 évoquant un risque « plausible » de génocide à Gaza, on peut s’étonner que seul le Nicaragua ait engagé une telle action contre les États exportateurs d’armes vers Israël : à quoi s’attendront tous les autres ?

Au-delà du procès du Nicaragua contre l’Allemagne, le recours à la justice internationale pour stopper l’élan d’Israël dans le PTOM est une voie appropriée, compte tenu de l’attitude de défi des autorités israéliennes actuelles.

S’agissant du rôle de la justice internationale dans la médiation du conflit entre la Palestine et Israël, l’une des interventions faites au nom de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) devant les juges de la CIJ récemment par une juriste française de grande renommée – dont la lecture intégrale est recommandée -, dans le cadre d’une procédure consultative initiée en décembre 2022, indique dans ses conclusions que (voir texte intégral et vidéo reproduits par l’AURDIP) :

30. Et pour finir, je voudrais, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, vous  citer les propos du contre-amiral israélien Ami Ayalon, qui a dirigé pendant plusieurs années le service du renseignement intérieur israélien. Son chemin personnel l’a amené à s’interroger sur la  notion d’ennemi et à mesurer l’impasse où se trouve Israël en ayant choisi la répression violente pour  accompagner son refus de la solution politique. Et il conclut une interview donnée il y a quelques  semaines à un quotidien français en disant : « La communauté internationale devrait jouer un rôle  bénéfique. Nous avons besoin que quelqu’un de l’extérieur nous éclaire sur nos erreurs ».

Texte partagé par Nicolás Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : [email protected]


Notes

Note 1 : Cuba n’a plus de relations avec Israël depuis 1967. Pour sa part, le Venezuela a rompu ses relations diplomatiques avec Israël en janvier 2009, à la suite de la spectaculaire offensive militaire en Israël observée entre décembre 2008 et janvier 2009 (voir communiqué de presse d’El Pais/Espagne). Comme le Venezuela en 2009, la Bolivie a également rompu ses relations diplomatiques avec Israël, les reprenant officiellement fin novembre 2019 (voir communiqué de presse de 2019 de l’agence de presse turque TRT) et les suspendant le 31 octobre 2023 (voir communiqué officiel de la Bolivie de la même date). Le 14 novembre 2023, Belize a choisi de prendre une mesure similaire à celle de la Bolivie (voir communiqué officiel).

Note 2 : On a pu lire dans le New York Times du 28 janvier que (voir article en entier) : Two Western officials confirmed on the condition of anonymity that they had been briefed on the contents of the dossier in recent days, but said they had not been able to verify the details. Although the United States has yet to corroborate the Israeli claims itself, American officials say they found them credible enough to warrant suspending aid « . On pourrait s’attendre à ce que les journalistes et les cercles de recherche fassent des recherches approfondies pour corroborer la date exacte des « récents jours » mentionnés dans cet extrait.

Il s’agit de savoir si, au-delà d’une simple coïncidence de calendrier, il s’agit d’une opération de communication d’Israël visant à détourner l’attention de la communauté internationale sur la portée de l’ordonnance de la CIJ lue le 26 janvier 2024 à La Haye. Il ne serait pas inutile de chercher à savoir sur quelle base le président américain a fait référence à des preuves « highly highly credible » le 30 janvier (voir note dans le Timesof Israel).

Note 3 : Voir ATT Expert Group, Domestic accountability for international arms transfers : Law, policy and practice, Saferworld, 2021, 54 pages. Texte disponible en cliquant sur « download » ici. Voir aussi à propos de la réglementation régionale de l’Union européenne en la matière MERLIN J.-B., « Les contentieux nationaux relatifs à la vente interétatique d’armes« , Vol. 65 Annuaire Français de Droit International, Année (2019) pp.71-103. Texte intégral de cet article disponible ici. Sur le Canada et le débat sur l’illégalité des armes envoyées à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite dans la guerre civile au Yémen, voir AZAROVA V…, DAVID E., TURP D., WOOD B, Opinion on the International Legality of Arms Transfers to Saudi Arabia, the United Arab Emirates and Other Members of the Coalition Militarily Involved in Yemen, IPIS, 102 pages, décembre 2019. Texte intégral disponible ici.

Note 4 : En octobre 2018, l’Allemagne a suspendu ses exportations d’armes vers l’Arabie saoudite, en raison des exactions commises au Yémen par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite contre les civils yéménites et de l’assassinat ignoble d’un journaliste saoudien dans le consulat saoudien en Turquie (voir note par DW). Quelques années plus tôt, en février 2011, la France décidait de suspendre toute exportation d’armes vers l’Égypte face à la répression brutale des manifestants (voir note par Le Monde). Plus récemment, en juin 2020, c’est l’Espagne qui a choisi de suspendre l’envoi de 600 000 cartouches au Nicaragua en raison de la répression disproportionnée des manifestants par les autorités policières nicaraguayennes (voir note de Mesa Redonda).