Nous partageons le texte écrit par le professeur Nicolás Boeglin, de la faculté de droit de l’université du Costa Rica. Titre original : « A propósito de la declaratoria de inconstitucionalidad por parte de la Corte Suprema de Justicia de Panamá de una ley-contrato minero ».


Le 27 novembre, la Cour suprême de justice du Panama a déclaré inconstitutionnelle la loi adoptée par le corps législatif panaméen qui approuvait un contrat accordant à une société minière canadienne des droits d’exploration et d’exploitation du cuivre sur le territoire panaméen (voir le reportage de la BBC et le rapport d’ElPaís, Espagne).

L’affaire remonte à une précédente concession minière accordée en 1997, et déjà déclarée inconstitutionnelle par le même juge panaméen dans une décision du 21 décembre 2017 : voir le texte de l’avis du bureau du procureur général du Panama de mai 2021, et le texte du décret du 19 décembre 2022 adopté par les autorités environnementales panaméennes.

Depuis 2014, un rapport sur l’impact négatif des entreprises minières canadiennes en Amérique latine attend des autorités canadiennes qu’elles prennent des mesures pour réglementer leurs activités depuis le Canada, notamment du point de vue des droits de l’homme et de la protection de l’environnement (Note 1).

Nous partageons avec vous le texte écrit par le professeur Nicolás Boeglin, de la faculté de droit de l'Université du Costa Rica, sur la loi des contrats miniers au Panama.
Photo extraite de l’article de presse (El País, Espagne) intitulé « Protestas masivas en Panamá en rechazo a una concesión para explotar la mayor mina de cobre de Centroamérica », édition du 26/10/2023.

L’arrêt du 27 novembre 2023 en (très) résumé

Dans un long arrêt (voir le texte intégral), la Cour suprême, composée de neuf membres, a déclaré à l’unanimité que la loi adoptée en octobre 2023 était inconstitutionnelle.

Les magistrats indiquent que l’État panaméen doit établir des priorités, que ses autorités semblent ignorer, en soulignant avec insistance (p. 111) :

Dans ce même arrêt, outre les deux instruments économiques internationaux mentionnés par les juges dans la citation précédente, d’autres traités internationaux auxquels le Panama est un État partie en matière environnementale sont également inclus, en particulier l’un d’entre eux : l’accord d’Escazú, adopté au Costa Rica en mars 2018 et qui compte à ce jour 15 États parties, parmi lesquels le Costa Rica ne figure pas (Note 2).

Plus précisément, nous lisons que (p. 180) :

Les magistrats panaméens indiquent également (pp. 181-182) que :

Comme on peut le constater, la rapidité avec laquelle cette loi a été adoptée a complètement ignoré l’un des principes les plus fondamentaux du droit de l’environnement contemporain, qui est inscrit dans la législation environnementale panaméenne elle-même : le principe de la participation des citoyens aux questions environnementales.

Sociétés minières et autorités politiques : une étrange impression de déjà-vu

Cette décision met fin à plus d’un mois de protestations et de manifestations de divers secteurs de la société panaméenne, qui sont descendus dans la rue pour protester contre la manière particulière dont cette loi controversée a été adoptée : il s’agissait d’une approbation « expresse » le vendredi 20 octobre 2023, dont les auteurs voulaient peut-être qu’elle passe presque inaperçue (voir l’article du Semanario Universidad du 20 octobre, qui indique que le vote a été de 44 voix pour, 5 contre et 2 abstentions).

A la procédure expéditive susmentionnée, il faut ajouter la profonde indignation de la population panaméenne face à l’attitude (non moins particulière) des plus hautes autorités panaméennes pour défendre ce projet minier contre vents et marées : un étrange sentiment d’unisson entreprises-autorités que nous qualifierions de « symbiose éhontée » par rapport à un projet minier douteux d’une compagnie minière canadienne au Costa Rica (Note 3).

Dans le texte de l’arrêt susmentionné de la Cour suprême de justice du Panama, il est évident que ses magistrats ont été profondément contrariés par la manière dont ce contrat minier a été négocié, en lisant notamment que (p. 171) :

Constituye una afrenta a la separación de poderes que, ante una declaratoria de inconstitucionalidad de esta Máxima Corporación de Justicia, se haya negociado un contrato de concesión incurriendo en los mismos yerros; y llama la atención el hecho que en el nuevo contrato convertido en Ley No 406 de 20 de octubre de 2023, incluso se mencione el contrato anterior, como si la Sentencia de Inconstitucionalidad no hubiese sido dictada.

Le traitement « express » d’une loi observé au Panama n’est pas sans rappeler un autre traitement « accéléré » en 2007-2008 du projet minier situé à Las Crucitas, dans la zone nord du Costa Rica : comme on s’en souvient, ce projet minier a été déclaré « d’utilité nationale » de manière inconsultée et surprenante par le pouvoir exécutif costaricien le vendredi 17 octobre 2008, et …. a été déclarée totalement illégale par la justice costaricienne en novembre 2010… Nous renvoyons nos chers lecteurs à l’intégralité du jugement du Tribunal administratif du 24 novembre 2010, qui stipule (point XL) que :

En relación con este punto, es necesario indicar que en el presente caso ocurre algo excepcional y es que las distintas ilegalidades detectadas y las nulidades declaradas, son todas coincidentes en el sentido de que tendían a la aprobación del proyecto minero Crucitas y varias de ellas se dictaron estando vigente un decreto ejecutivo de moratoria de la minería metálica de oro a cielo abierto, todo lo cual hace viable pensar como posible una eventual concurrencia u orquestación de voluntades para llevar adelante, de cualquier manera, este proyecto minero.

Cette première décision a ensuite été ratifiée dans son intégralité par la première chambre de la Cour suprême de justice du Costa Rica le 30 novembre 2011, lorsqu’elle a rejeté la batterie d’arguments présentés par la société minière canadienne (voir le texte intégral de l’arrêt 1469-2011 de la première chambre, dont la lecture est d’un grand intérêt).

Il convient de noter que le renversement de la charge de la preuve en matière environnementale allégué par la requérante dans son pourvoi et rejeté par la première chambre (points XIX et XX de l’arrêt de la première chambre) dénote une méconnaissance de ce principe – quelque chose de fondamental – et de sa réalité juridique au Costa Rica ; une méconnaissance qui s’est étendue à certains membres de la chambre constitutionnelle, lorsqu’ils ont analysé en 2020 la portée des dispositions de l’accord d’Escazú, en particulier à un juge qui était membre de la chambre constitutionnelle costaricienne jusqu’en 2021.

En guise de conclusion

Avec cette décision de ses magistrats, le Panama offre à l’Amérique latine et au monde en général, une nouvelle lutte exemplaire, menée par divers secteurs sociaux, indignés par le traitement particulier accordé par ses plus hautes autorités politiques à une entreprise étrangère. Malgré le caractère pacifique des protestations sociales, quatre personnes ont perdu la vie au cours des différentes manifestations de rue (voir l’article de La Estrella du 8/11/2023).

Cette décision de la justice panaméenne confirme également l’indépendance de la justice panaméenne qui, dans d’autres parties du continent, est souvent sérieusement remise en question lorsqu’il s’agit de mégaprojets d’une certaine ampleur impliquant des investisseurs étrangers : Au Costa Rica, la véritable « conspiration » entreprises-autorités dénoncée lors d’une audience en 2009 à la Chambre constitutionnelle à propos du projet minier Infinito Gold (voir le titre de cet article dans le Semanario Universidad du 18 novembre 2009), s’est doublée d’autres attitudes étranges de ses magistrats constitutionnels, décrites dans le documentaire « El Oro de los Tontos » (voir lien), et que nous avions évoquées en novembre 2011 dans un article intitulé « De cruces, cruzadas y Crucitas » (voir le texte publié dans La Nación).

Dans le cas spécifique de l’Amérique centrale, l’attitude des autorités politiques panaméennes rappelle ce qui a été observé dans de nombreux scandales environnementaux liés à des contrats avec des compagnies minières canadiennes : trois jours après cet arrêt, le ministre panaméen du commerce et de l’industrie a démissionné (voir le rapport de DW).

Dans le cadre de la stratégie de l’entreprise canadienne (qui rappelle celle d’une autre entreprise canadienne au Costa Rica en 2010), l’entreprise a annoncé, quelques jours avant l’annonce de la décision du tribunal panaméen, son intention de poursuivre le Panama devant le Centre international pour le règlement des différends entre investisseurs et États (CIRDI) : voir le texte du communiqué officiel des autorités commerciales panaméennes daté du 26 novembre.

Texte partagé par Nicolás Boeglin, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact: [email protected]


Notes

Note 1 : Voir à cet égard le rapport intitulé « El impacto de la minería canadiense en América Latina y la responsabilidad de Canadá – Informe presentado a la Comisión Interamericana de Derechos Humanos », Groupe de travail sur l’exploitation minière et les droits de l’homme en Amérique latine, 2014. Texte complet disponible ici.

Note 2 : L’état des signatures et des ratifications de l’accord d’Escazú est disponible sur ce lien officiel des Nations unies. Concernant l’absence persistante du Costa Rica, voir BOEGLIN N., « Costa Rica y el Acuerdo de Escazú : historia de una persistente ausencia », Revista de Ciencias Ambientales, Universidad Nacional (UNA), Vol. 58 (2024). Texte disponible ici. Il convient de rappeler que le continent européen dispose depuis 1998 d’un instrument régional très similaire à l’Accord d’Escazú, la Convention d’Aarhus, adoptée en 1998 (voir l’état officiel des signatures et ratifications).

Note 3 : Voir BOEGLIN N., « Infinito Gold contra Costa Rica: el reciente laudo arbitral del CIADI sobre el proyecto minero ubicado en Las Crucitas », Portal de la Universidad de Costa Rica (UCR), édition du 15/06/2021. Texte disponible ici. Le niveau d’inconscience atteint par le pouvoir exécutif costaricien entre 2006 et 2010 a été capturé dans le documentaire « El Oro de los Tontos », produit par une équipe talentueuse de l’Université du Costa Rica (UCR), ainsi que dans ce numéro de la Revista Ambientico de février 2009 (Université nationale), intitulé « ¿Minería de oro a cielo abierto … en Crucitas? »

Il convient de se référer au rapport d’une Commission interdisciplinaire du Conseil universitaire de l’UCR (voir texte intégral) qui met en garde contre les graves faiblesses des études « techniques » présentées par l’entreprise Infinito Gold et approuvées avec beaucoup de légèreté par les autorités costariciennes. La position ferme de l’UCR a donné lieu à une tentative de la part de l’entreprise canadienne de discréditer le contenu de ce rapport : voir le communiqué du Conseil de l’Université du 10 juin 2009 réfutant la campagne de dénigrement menée à son encontre par l’entreprise canadienne.

Enfin, la légèreté avec laquelle cinq des sept juges constitutionnels ont examiné l’affaire a donné lieu à une dénonciation courageuse de la part d’un fonctionnaire du SENARA : voir l’article du Semanario Universidad intitulé « Piden a Sala IV rectificar fallo sobre minería en Crucitas » du 12 mai 2010. Concernant la décision contestable (et contestée) du juge constitutionnel d’avril 2010, nous recommandons la lecture de l’opinion dissidente du juge Fernando Cruz et de l’opinion dissidente du juge Gilbert Armijo à la fin de la décision 06922 – 2010 de la Chambre constitutionnelle.